L'histoire de Fonction : Cinéma
Depuis plus de 30 ans, Fonction : Cinéma assume un rôle clé à Genève dans l’aide à la production et à la diffusion des films. Retour sur la genèse de l'association, ses pionniers, son histoire.
Années 60 : les débuts du cinéma genevois
On ne peut réellement parler de création cinématographique à Genève qu’à partir des années 60 grâce au « groupe des 5 ». Cinq cinéastes: Alain Tanner, Jean-Jacques Lagrange, Jean-Louis Roy, Claude Goretta, Michel Souter qui travaillent dans le cadre de la Télévision Suisse Romande unissent leurs énergies.
Ils se distinguent par des reportages et des documentaires souvent engagés. Ils s’expriment également par des œuvres de fiction qui font connaître les films genevois sur le plan international. Ainsi, « La Salamandre » de Tanner remporte un immense succès et « l’Inconnu de Chandighor » de Roy se trouve en sélection officielle à Cannes en 1968. Les premiers producteurs genevois (Gasser et Perrot) se lancent dans l’aventure. Ils s’installeront plus tard à Paris.
Années 70 : les cinéastes indépendants genevois
Quelques années plus tard, dès 1974, une jeune génération de cinéastes indépendants genevois va réaliser ses premiers films de fiction en 16mm. Ceux-là même qu’on retrouvera parmi les membres fondateurs de Fonction:Cinéma.
La vidéo légère n’existe pas encore et les budgets de réalisation sont très lourds. Le financement des films s’obtient difficilement grâce à de rares crédits de la Confédération (Office fédéral de la culture), de la télévision, et de fondations privées (Fondation Simon I. Patino, banques, etc.).
La Ville de Genève participe parfois, pour de petits montants. Les cinéastes s’endettent systématiquement.
Les films réalisés à Genève sont montrés ponctuellement à la salle Patino de la cité Universitaire, au CAC Voltaire (rue Voltaire), à Saint-Gervais, et souvent dans des lieux improvisés : cafés, salles de cours, maisons de quartiers. etc. Ils bénéficient d’un accueil enthousiaste du public mais rares sont les projections dans les salles commerciales. De plus, les émissions télévisées consacrées au cinéma ne les mentionnent que très rarement.
C’est dans ce contexte de difficultés à trouver des financements et à diffuser largement les films que va se créer Fonction : Cinéma.
Les cinéastes vont être aidés par le dynamisme culturel généré dans le sillage du Festival du Bois de la Bâtie et dans la mouvance associative des années 70.
La genèse de Fonction : Cinéma
Les films se multiplient. Plusieurs cinéastes genevois déplorent de travailler de façon isolée, de se battre seuls avec peu de moyens logistiques et financiers. Si les arts comme le théâtre, la danse et la musique sont subventionnés par la Ville de Genève, il n’existe pas de fonds spécifique pour le cinéma.
Deux cuisines conviviales sont le lieu d’intenses et fructueuses discussions qui vont aboutir à la création de Fonction : Cinéma.
Dans l’une d’elle, Philippe Berthet discute avec Carole Kozuchowski et Robert Mac Naughton de leur condition de cinéastes. Philippe Berthet est à l’origine de plusieurs associations et mouvements artistiques à Genève : AMR, Théâtre du Loup, Festival de la Bâtie, Usine. C’est lui qui suggérera plus tard le nom du groupement : « Fonction : Cinéma ».
Dans une autre cuisine de Genève, Bertrand Theubet, Didier Périllat et Pierre Maillard arrivent à la même conclusion : la nécessité de fonder une association défendant les droits des cinéastes. Le sujet est d’actualité puisque Pierre Maillard prépare son premier long métrage « Campo Europa ».
La création de Fonction : Cinéma
Une assemblée constitutive pour créer une association d’aide au cinéma indépendant est organisée le 11 juin 1982, au café « l’International» à la place du Cirque. Elle réunit les personnes actives dans la création artistique et cinématographique à Genève:
Pierre Biner, Chantal Bernheim, Jacques Berthet, Philippe Berthet, José-Michel Buhler, Patrice Cologne, Dominique Contat, Anne-Marie Fallot, Jacques Favre, Jean-Louis Gauthey, Véronique Goel, Léo Kaneman, Christiane Kolla, Carole Kozuchowski, Bernard Kohli , Annie Lefèvre, Robert Mac Naughton, Jacques Magnin, Pierre Maillard, Bernard Meister, Guy Milliard, Alain Mugnier, François Musy, Didier Periat, Daniel Schweizer, Georges Schwitzgebel, Bertrand Theubet, Jasmina Theubet, Nicole Weyer.
Les 29 membres fondateurs représentent des tendances artistiques très diverses : cinéastes expérimentaux, cinéastes de fiction ou de documentaires, étudiants des Beaux-Arts, techniciens du film. La plupart sont indépendants, certains travaillent partiellement à la télévision.
Au noyau de base vont se joindre d’autres forces vives dont Daniel Calderon, Cédric Herbez, Alan Mac Kluskey, Didier Casagrande, Patricia Plattner, etc. qui vont participer aux premiers comités. Bien d’autres cinéastes viendront progressivement aider l’association, notamment Christine Ferrier et Sophie Brandt.
Annie Lefèvre, responsable des Activités Culturelles de l’Université de Genève – qui joue déjà un rôle déterminant dans l’aide à la production romande et a une longue expérience des rapports aux autorités de la Ville de Genève – donne des conseils avisés. Chantal Bernheim, cinéaste et avocate, aide à l’établissement des statuts de l’Association.
Dans l’enthousiasme, Fonction:Cinéma est né. Le nom est trouvé. Une première manifestation qui aura valeur de démonstration est organisée.
1983 : première manifestation publique de Fonction : Cinéma : projection de 65 films genevois
Du 11 au 13 février 1983, 65 films genevois sont projetés pendant trois jours à la salle Patino lors d’une grande manifestation inaugurale organisée par Fonction:Cinéma. C’est la véritable naissance publique de l’association.
Les autorités genevoises, les spectateurs (plus de 1’500 personnes) et la presse réalisent qu’une production cinématographique genevoise riche et inventive existe et qu’elle est digne d’être soutenue.
La Ville de Genève accorde alors une subvention annuelle de 200’000 Fr. (janvier 1984) qui passera bientôt à 400’000 francs (Alain Tanner et Claude Goretta ont demandé une aide supplémentaire et différenciée pour les cinéastes confirmés).
Le montant a été évalué par une enquête de Fonction:Cinéma auprès des cinéastes et prend en compte leur part moyenne annuelle d’endettement personnel. Sur le conseil de l’association, une commission d’experts est nommée pour évaluer les projets déposés en collaboration avec Pierre Skrebers, responsable culturel pour la Ville de Genève.
Fonction : Cinéma et ses locaux
Fonction : Cinéma s’installe dans le bâtiment vétuste mais photogénique du Grütli, promis à la rénovation. Pierre Maillard sera le premier président. Bertrand Theubet le premier administrateur.
Josiane Morand (future scripte) devient la première et très efficace secrétaire de l’association. Léo Kaneman sera bientôt engagé comme employé permanent. Deux membres, Jean-Jacques Doess et Aldo Mugnier, aménagent la salle 13 du 1ère étage avec des gradins en bois. Cette première salle est inaugurée le 22 novembre 1983. Les projections de films et les discussions au bar de l’association attirent un nombreux public. Des cinéastes étrangers sont invités.
1985 : le Palais Wilson
En 1985, pendant les travaux de rénovation de la maison du Grütli, Fonction:Cinéma s’installe provisoirement au Palais Wilson. Aldo Mugnier construit une nouvelle salle. Daniel Calderon ouvre un bar où les cinéphiles et les noctambules viennent se presser tous les week-ends.
Malheureusement, ce lieu magique est détruit par un incendie le 2 août 1987.
L’AMR, la maison de Saint-Gervais, puis les studios Lolo hébergent temporairement l’association.
Finalement, en 1989, les nouveaux locaux – qui ont été longuement élaborés au sein de l’association – sont inaugurés au rez-de-chaussée du Grütli, devenue « Maison des Arts ». Bertrand Theubet, devenu Président, va suivre assidument les plans, puis les travaux en collaboration avec Léo Kaneman, et ce jusqu’à l’inauguration. Les nouveaux locaux sont somptueux: une grande réception-bureau accueille les visiteurs, un bureau, une salle de projection polyvalente (qui peut servir de studio de tournage), deux salles de montage (16 et 35 mm), sont à la disposition des membres.
L’association a enfin l’outil dont elle a rêvé: une sorte de chaînon manquant de la production qui permette aux réalisateurs et aux producteurs de rester indépendants en ayant à leur disposition une infrastructure polyvalente, un budget de fonctionnement, des outils et des moyens.
Fonction : Cinéma s’organise
Fonction : Cinéma est une association à but non lucratif qui a toujours tenu à défendre les valeurs associatives. Au fil du temps, elle a été gérée par des professionnels bénévoles qui se sont succédés au comité de l’association.
Les 8 présidents de ce comité (également bénévoles) ont particulièrement donné de leur temps :
- Pierre Maillard (1983 )
- Bertrand Theubet (1984 – 1989)
- Pierre Merle (1990)
- Jean-Daniel Bloesch (1991)
- Pierre-André Thiébaud (1992)
- Daniel Calderon (1992 – 1993)
- Aude Vermeil (1994 – 2005)
- Francine Lusser (2006-2007)
- Daniel Calderon (2008)
À ce titre, ils sont devenus membres d’honneur de l’association de même que :
- Alain Tanner, cinéaste,
- Jean-Jacques Speirer, ancien Directeur de Cinégram,
- Léo Kaneman, administrateur pendant 20 ans,
- Dominique Oestreicher, collaboratrice pendant 20 ans,
- Josiane Morand, 1ère secrétaire (en grande partie bénévole) de l’association.
- Aldo Mugnier, qui a construit les 2 premières salles de Fonction: Cinéma
- Cédric Herbez, membre du comité pendant 20 ans
En 1984, Léo Kaneman devient administrateur de l’association. Il le restera pendant 20 ans jusqu’en 2003. Avec les comités successifs, il mènera la plupart des combats de Fonction : Cinéma, obtenant de nombreux résultats positifs pour les professionnels genevois.
En été 1984, c’est Dominique Oestreicher qui va remplacer Josiane Morand et devenir la collaboratrice permanente de l’association.
Fonction : Cinéma en pleine action
Pendant des années, les nombreuses et fébriles séances de comité élaborent les champs d’action de l’association :
- obtention de subventions de la Ville de Genève pour la production des films
- obtention d’un crédit pour la production de l’Etat de Genève
- obtention d’un budget de fonctionnement
- élaboration d’un fichier professionnel : réalisateurs, producteurs, techniciens, comédiens
- déduction d’impôts pour les réalisateurs et producteurs genevois
- information sur les modes de financement des films et conseils aux débutants.
- diffusion de courts-métrages dans les salles commerciales (collaboration Quickfilm)
- organisation de festivals pour faire connaître les films genevois
- participation des films genevois à des festivals suisses et internationaux
- collaboration transfrontalière, notamment avec la France voisine
- collaborations avec des festivals (La Bâtie, etc.) et d’autres associations cinématographiques
- mise à disposition pour les membres de salles de montages et d’une salle de projections.
- avant-premières de films, séances de casting, tournages
- informations professionnelles et cours sur le cinéma
- lancement de stages de direction d’acteurs avec Pico Berkovitch et de scénario
- création d’un site internet
- étude nationale en partenariat avec « Zurich für den film » sur les retombées économiques de la branche audiovisuelle suisse
Au fil des ans, les idées de base sont poursuivies et améliorées. Il faut sans cesse se battre pour le maintien et l’augmentation des subventions.
En 2003, grâce à l’initiative de Daniel Kunzi, cinéaste et député, le crédit octroyé par la Ville de Genève passe à CHF 1,3 million de francs par année, qui sont attribués par une commission sélective.
L’État de Genève, via le DIP (Département de l’instruction publique), accorde de son côté un crédit de Frs 450’000 en faveur des jeunes cinéastes.
En 2003 également, suite à un colloque du festival Cinéma Tout Écran (voir plus bas), Fonction : Cinéma et l’Association Romande du Cinéma (ARC) obtiennent 1 million de la Loterie Romande pour créer le Fonds REGIO. Ce fonds vient automatiquement bonifier les subventions obtenues par les cinéastes. Le fonds REGIO est également alimenté par les cantons. La Ville de Genève lui accordera 600’000 Frs en plus du crédit de base sélectif de 1.3 million.
Durant de nombreuses années, le dimanche matin, Dominique Oestreicher organise des « cinébrunchs » présentant les divers métiers du cinéma à un public passionné. Catherine Kala participera également à l’organisation des cinébrunchs.
Après Cornelia Hummel, qui lance la formule et avant Pauline Grandpierre qui la poursuivra, Dominique s’occupe également du journal « l’Amorce », édité mensuellement par l’association. Ce journal informe régulièrement les membres des activités de l’association, des décisions du Comité, des sorties de films, des festivals, et de tous les aspects de la vie cinématographique romande.
Fonction : Cinéma, qui met ses locaux à disposition du festival « Stars de demain », obtient en échange une section autonome gérée par l’association. A l’initiative de l’administrateur de Fonction:Cinéma, Léo Kaneman, cette section développe dès 1995 un nouveau concept : « Cinéma Tout Écran ».
En 1995, le festival « Cinéma Tout Écran » devient une entité autonome et Léo Kaneman en devient le Directeur, mais toujours en tant qu’administrateur de Fonction : Cinéma.
Dominique Oestreicher s’occupera quant à elle de la « sélection internationale de films courts » de Cinéma Tout Écran.
Dès 2003, cette manifestation d’envergure internationale qui n’a cessé de se développer, devient complètement autonome, mais des collaborations se poursuivront avec Fonction : Cinéma.
En 2003, le comité de Fonction : Cinéma, suivant une nouvelle fois une idée de son administrateur Léo Kaneman, contribuera à la création du Festival International des Droits Humains (FIFDH).
Léo Kaneman quitte FC en 2003 après 20 ans au service de l’association qu’il aura marquée de son dynamisme et de sa forte personnalité.
Fonction : Cinéma s’est également investie pour la sauvegarde de salles de cinéma promises à la destruction : les salles Manhattan (future salle Arditi-Wilsdorf), et le Bio 72 de Carouge.
Xavier Ruiz, administrateur de Fonction : Cinéma pendant 3 ans, met au point le fichier professionnel sous la forme de l’annuaire « Le Rouge » et augmente l’offre des cours : jeux de l’acteur, scénario, prises de vue, montage sur Final-Cut, After-Effects.
En 2007, le comité engage Aude Vermeil à la direction de l’association avec comme objectif de rénover la salle de projection devenue vétuste, de moderniser le site internet et de recentrer les activités de Fonction : Cinéma non plus prioritairement sur la relève, mais aussi auprès des professionnels établis.
En automne 2007, suite à de graves dissensions au sein du comité et de la branche, Daniel Calderon accepte de devenir Président pour la seconde fois et pour une période d’un an, le temps que l’association retrouve son équilibre et sa crédibilité.
Composé de fortes personnalités, Fonction : Cinéma vivra en effet parfois quelques conflits, tempêtes et autres dissidences mais au fil des ans, le cap est maintenu avec succès.
L’association a fêté ses 25 ans du 23 au 25 mai 2008 dans une salle complètement rénovée.
Ecrit par Christiane Kolla, membre de Fonction : Cinéma depuis 1982.
Texte complété par Daniel Calderon et Léo Kaneman avec l’aide de Bertrand Theubet et Cédric Herbez.
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